Et la Bruyère arriva

 

Comment et quand en est on venu à Saint-Claude à utiliser la souche de cette plante qui ne pousse pas dans le Jura, La Bruyère. Plusieurs thèses sont en présence, en voici une qui a un caractère de plus grande probabilité, transmise par le Sieur Jules Ligier.

          « C’était dans les premiers jours d’Octobre 1858. Un voyageur aux manières un peu exubérantes, à l’accent méridional très prononcé, se présente un matin dans les magasins d’Aimé Gay, Place de l’Abbaye, Maison Mallet au rez-de-chaussée. Il venait faire ses offres de souches de buis, appelées communément Broussins, que ce négociant achetait en grande quantité pour la fabrication des ses tabatières.

          Après avoir pris une commande de 10 000 kg de ces souches à livrer dans le courant de novembre, parlé de la pluie, du beau temps et des vendanges dans le midi, le Sieur Raffanel sort mystérieusement de sa poche un petit morceau de bois, taillé à six pans au moyen d’une scie, dans la forme d’un éteignoir, le grand côté percé grossièrement avec une mèche, le petit côté avec un perçoir et muni d’une tige de bambou formant embouchure.

          Voilà dit-il une pipe dans laquelle un ami berger de mon village m’a certifié avoir fumé du tabac depuis plus d’un an et qui, vous le voyez, n’est ni détériorée ni brulée. Elle a été prise dans une souche de bruyère, semblable aux souches de buis que vous venez de me demander et que l’on trouve en abondance dans toute notre région.

          Monsieur Gay, qui s’intéressait vivement à tout ce qui concernait les articles de Saint-Claude, le questionna longuement, se fit remettre cinq autres morceaux de bruyère identiques que le sieur Raffanel avait en poche et lui commanda deux sacs, soit environ dix grosses (1 grosse = 12 douzaines soit 144 pièces), d’ébauchons pareils à expédier en grande vitesse avant la fin du mois. Il fit établir par la maison Saintoyend-Burdet des capsules en corne avec branche plate recourbée qu’il fit ajuster sur ces pipes et se mit en voyage avec ces premiers échantillons.

          Les 10 grosses d’ébauchons commandés arrivèrent régulièrement avant la fin octobre. La maison les fit achever et monter dans sa fabrique située au Plan du Moulin, sous le pont suspendu et, dans la dernière semaine d’octobre, elles partirent pour Paris, le Nord de la France et la Belgique. »

Voila comme le souligne Jules Ligier à quel moment et de quelle manière les premières pipes de bruyère furent fabriquées à Saint-Claude. Ce à quoi on peut ajouter ce proverbe italien «  Se non é vero, é bene trovato. »

De la Souche à la pipe

La bruyère arborescente, Bruyère blanche ou Bruyère en arbre (Erica Arborea) est une grande Bruyère poussant sur les sols siliceux du pourtour méditerranéen. Arbustre plus qu'arbriseau, la plante peut atteindre près de 4 mètres de haut. Son rhizome présente l'aspect d'un gros bulbe de couleur rouge pesant quelques kilogrammes qui peut fournir un excellent bois de chauffage mais qui ,est surtout utilisé pour fabriquer des ébauchon de pipes.

La première étape consistait à aller récolter les rhizomes, activité pénible puisque chaque cueilleur ne redescendait au village qu'après avoir recueilli entre 80 et 100 kg de « bulbes » qu'il transportait sur son dos, par des chemins étroits et pentus. À la fabrique, les bulbes étaient arrosés pour éviter qu'ils ne se dessèchent, puis nettoyés soigneusement un à un. Ils étaient ensuite sciés à la scie circulaire, chaque bulbe ne produisant que deux ou trois ébauchons. Ces derniers étaient ensuite mis à bouillir pendant de longues heures, afin de « tuer » la sève et d'éviter que le bois ne se fende. Une fois triés selon leur forme (pipes courbées ou droites), les ébauchons étaient ensuite acheminés vers Saint-Claude

 

 Sciée en 2, la Souche présente son coeur plein de surprises
 

Bien travaillé par un Maître Pipier, cet ébauchon donnera une magnifique pipe   

Une superbe vidéo sur un des derniers ébaucheurs de pipes